1. – Nul n’est censé ignorer la compliance ? (1) L’interrogation semble légitime tant la compliance occupe une place importante dans le débat juridique en Europe depuis la dernière décennie (2). Cette pratique d’origine américaine, souvent traduite par « conformité », a fait l’objet d’une attention toute particulière de la part de l’Autorité de la concurrence qui en a donné une définition. Ainsi, les programmes de conformité sont considérés comme des outils de prévention et de réduction des risques, qui « permettent aux acteurs économiques de mettre toutes les chances de leur côté pour éviter d’enfreindre les normes juridiques qui s’appliquent à eux, notamment en matière de concurrence » (3). Dans cet article, nous reviendrons sur l’essor des programmes de conformité au droit de la concurrence (PREMIÈRE PARTIE). La seconde partie, qui sera publiée en fin de semaine, cherchera à élaborer un guide pratique de leur mise en oeuvre. À travers ce guide, nous questionnerons notamment la pertinence des « compliance programs » à la lumière des risques qui en découlent (SECONDE PARTIE).
PREMIÈRE PARTIE – L’ESSOR DES PROGRAMMES DE MISE EN CONFORMITÉ AU DROIT FRANÇAIS DE LA CONCURRENCE
Afin de comprendre le processus de développement des programmes de mise en conformité au droit français de la concurrence, nous évoquerons les différentes étapes qui ont jalonné son avènement (I) avant de s’intéresser au document-cadre publié par l’Autorité de la concurrence le 10 février 2012 (II).
I – L’origine des « compliance programs »
2. – La naissance des « compliance programs » aux États-Unis. Les programmes de conformité tels que nous les connaissons actuellement trouvent leurs origines dans la pratique des « compliance programs » nées aux États-Unis au cours du XX ème siècle (4). Si cette pratique à d’abord trouvé un écho particulier en droit des sociétés puis en droit boursier (5), elle a pris son véritable envol avec le droit antitrust (6). En effet, le caractère pénal du droit antitrust ainsi que l’importance des sanctions prononcées ont contribué à l’attractivité de ces pratiques outre-Atlantique.
3. – L’arrivée progressive des programmes de conformité en Europe. L’introduction des programmes de conformité en Europe est le fruit de l’internationalisation des relations commerciales. C’est en s’exportant sur le Vieux Continent que les grandes entreprises américaines ont fait connaître ce procédé aux acteurs européens. L’intérêt pour les programmes de mise en conformité s’est progressivement accentué avec le renforcement des législations européennes de concurrence (7). Plus récemment, la Commission européenne a publié un document nommé « Compliance matter – What companies can do better to respect EU competition rules » (8) dans lequel elle incite les acteurs à recourir aux programmes de conformité. Toutefois, à l’instar de la pratique française, la Commission se montre réticente à l’idée d’un modèle unique et privilégie la réalisation d’un programme singulier adapté à la situation de l’entreprise (9).
4. – De la loi NRE du 15 mai 2001 à la consultation publique de l’Autorité de la concurrence en 2011 : dix ans d’évolution en droit français. L’élaboration de l’approche actuelle de l’Autorité de la concurrence en matière de conformité s’est réalisée en plusieurs étapes. La première pierre a été posée par la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques (10). En effet, cette dernière a introduit l’article L. 464-2, III du Code de commerce relatif à la non-contestation des griefs, qui dispose notamment que « lorsque l’entreprise ou l’organisme s’engage en outre à modifier son comportement pour l’avenir, le rapporteur général peut proposer à l’Autorité de la concurrence d’en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction ». Par cet article, la modification du comportement d’une entreprise pour l’avenir permet d’obtenir une réduction d’amende. Les bases nécessaires au développement d’une « culture de la conformité » (11) venaient d’être posées. Par la suite, la pratique décisionnelle du Conseil, puis de l’Autorité de la concurrence confirmeront cette tendance. Enfin, le 16 mai 2011, dans le cadre d’un communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, l’Autorité de la concurrence annonce la publication d’un document-cadre portant sur les programmes de conformité. S’en suit alors une importante phase de consultation publique, qui débouchera sur la publication du document-cadre le 10 février 2012.
II – Le document-cadre de l’Autorité de la concurrence du 10/02/2012
5. – Un texte peut en cacher un autre. Le 10 février 2012, ce n’est pas un, mais bien deux textes qui ont été publiés par l’Autorité de la concurrence. Si nous nous intéressons exclusivement au document-cadre sur la conformité, la publication conjointe du « Communiqué de procédure relatif à la non-contestation des griefs » est la preuve de l’intérêt croissant que portent les autorités de concurrence aux outils de soft law.
6. – Objectifs annoncés : « Prévenir, déceler, traiter ». L’analyse du document-cadre révèle le degré d’exigence de conformité aux règles de la concurrence attendu par l’Autorité. Ainsi, ce document s’apparente à un véritable « recueil de bonnes pratiques » (12). Si l’article L. 461-1 du Code de commerce charge l’Autorité de la concurrence de veiller au bon fonctionnement concurrentiel de l’économie, c’est en instaurant une culture de la concurrence qu’elle cherche à y parvenir. Ainsi, l’Autorité souhaite que les entreprises s’inscrivent dans une démarche volontariste de respect des règles de concurrence, en amont de tout contentieux. L’efficacité des programmes de conformité dépend alors de la réalisation d’un double objectif « prévenir les risques d’infractions, d’une part ; donner les moyens de détecter et de traiter les cas d’infraction qui n’ont pas pu être évités, d’autre part » (13).
7. – Un contenu plus directif qu’incitatif (14). Le document-cadre s’articule autour de cinq piliers pour construire un programme de conformité efficace. Le premier d’entre eux porte sur l’existence d’une prise de position claire, ferme et publique des dirigeants et mandataires sociaux de l’entreprise, répondant ainsi à l’essor d’une culture de la concurrence. Le second consiste pour les entreprises à s’engager à désigner un « compliance officer ». Ce dernier, désigné par les organes de direction, doit notamment disposer des pouvoirs nécessaires afin d’assurer la mise en oeuvre du programme de conformité. L’entreprise doit également s’engager à mettre en place des mesures effectives d’information, de formation et de sensibilisation. Pour répondre au quatrième pilier, les entreprises doivent mettre en oeuvre des mécanismes effectifs de contrôle, d’audit et d’alerte. À titre d’exemple, des dispositifs doivent permettre à un salarié d’alerter les personnes responsables sur le fait qu’il ait connaissance d’une infraction tout en lui assurant une protection contre d’éventuelles représailles. Enfin, l’entreprise doit prendre l’engagement d’instaurer un dispositif effectif de suivi comprenant notamment une procédure d’examen des alertes.
8. – La singularité du programme de conformité comme condition de son efficacité. Si l’on compare attentivement le projet et la version définitive du document-cadre du 10 février 2012, on remarque que l’Autorité de la concurrence a apporté une importante précision : « Il n’existe pas de programme de conformité type » (15). Ainsi, la mise en oeuvre d’un programme de conformité doit résulter d’une analyse concrète des risques propres à l’entreprise. Il doit notamment prendre en compte la taille de celle-ci, la nature de ses activités ou encore son mode de gouvernance (16).
Morgan Carbonnel
- (1)Titre emprunté à l’article suivant: CREUX-THOMAS (F.), Nul n’est censé ignorer la compliance ?, JCP G n° 4, 24 janvier 2011, 69.
- (2) En atteste les nombreuses études qui lui ont été consacrées, notamment : RODA (J.-C.) et LEDOUX (V.), Les « compliance programs » en droit de la concurrence, CCC n° 12 décembre 2007, étude 14 ; JAFFAR (S.) et ROSKIS (D.), Programmes de conformité : réflexions sur la portée du document-cadre de l’Autorité de la concurrence, JCP E n° 21, 24 mai 2012, 1326 ; LASSERRE (B.), Pourquoi s’investir dans la conformité ?, Propos introductifs in Colloque : La culture de la conformité, nouvel horizon du droit français de la concurrence ?, 15 septembre 2008, RLC 2009, 19
- (3) Rapport annuel de l’Autorité de la concurrence, 2009, 9, 10
- (4) RODA (J.-C.) et LEDOUX (V.), Les « compliance programs » en droit de la concurrence, préc.
- (5) En 1934, le Securities and Exchange Act encourageait déjà les acteurs à recourir aux « Compliance programs »
- (6) Les U.S. Sentencing Guidelines de 1991 incitaient les entreprises à faire usage des programmes de conformités : lien
- (7) LAZARUS (C.), La réception par les autorités administratives indépendantes in Les pratiques juridiques, sources du droit des affaires (ss. dir. MOLFESSIS (N.)), Petites affiches, 27 novembre 2003, n° 237, p. 61.
- (8) Publié en novembre 2011 et disponible sur le site de la DG Concurrence : lien
- (9) KOEHLER DE MONTBLANC (M.), Exigence de conformité, in Actes du colloque : Programmes de conformité, du 5 juin 2012, RLC, octobre-décembre 2012 n° 33.
- (10) Loi n° 2001-420, 15 mai 2001, sur les nouvelles régulations économiques.
- (11) LASSERRE (B.), Pourquoi s’investir dans la conformité ?, Propos introductifs in Colloque : Programmes de conformité, du 5 juin 2012, RLC, octobre-décembre 2012 n° 33.
- (12) LEMAIRE (C.) et COUSIN (M.), Conformité et non-contestation des griefs : l’Adlc précise les outils de gestion du risque concurrentiel par les entreprises, RLDA, 2012, n° 69.
- (13) Aut. Conc., Document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, pt. 11.
- (14) LEMAIRE (C.) et COUSIN (M.), Conformité et non-contestation des griefs : l’Adlc précise les outils de gestion du risque concurrentiel par les entreprises, préc.
- (15) Aut. Conc., Document-cadre du 10 février 2012 sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, pt. 19.
- (16) MADERO-VILLAREJO (C.), The point of view of the European Commission, Concurrences, 2-2012, p. 9.