Cinq conseils relatifs au droit de la concurrence américain pour les entreprises étrangères

Cet article a été écrit et publié sur le site Internet de Jarod Bona, The Antitrust Attorney (lien)
Sa traduction a été effectuée par Thibault Schrepel, créateur du Concurrentialiste

The original english version of this article follows the french one.

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Le seul fait que votre société n’ait pas son siège social aux États-Unis ne suffit pas à ignorer le droit américain de la concurrence. Dans un monde interconnecté, il y a de bonnes chances pour que, si vous produisez quelque chose, vous soyez d’une façon ou d’une autre concerné par le marché américain.

Pour cette raison, cet article contient cinq conseils que les avocats et les sociétés qui ne sont pas américains doivent comprendre en matière de droit américain de la concurrence. Et si vous êtes américain, nul doute que cet article intéressera également tout spécialiste de droit de la concurrence.

  1. Deux agences fédérales et de nombreuses cours appliquent le droit de la concurrence

Le gouvernement américain dispose de deux agences qui appliquent le droit de la concurrence : la Federal Trade Commission (« FTC ») et le Department of Justice (« DoJ »). La FTC est une agence indépendante alors que le DoJ dépend de la branche exécutive sous le contrôle du Président.

Ces deux agences appliquent le droit fédéral de la concurrence. Leurs compétences sont similaires dans les statuts, mais elles tendent à avoir des accords qui leur permettent de se partager certaines industries ou certains sujets. Si vous travaillez pour une industrie, un avocat spécialisé en droit de la concurrence pourra très rapidement vous dire si votre industrie relève de la compétence de la FTC ou du DoJ.

La Section Antitrust du DoJ est la seule des deux à pouvoir appliquer le droit criminel de la concurrence. Si vous êtes impliqués dans une affaire d’entente, vous aurez probablement affaire à eux. À ce sujet, si les ententes vous intéresse, n’hésitez pas à vous reporter sur le blog Cartel Capers tenu par Bob Connolly.

Les deux agences sont en charge du contrôle des concentrations (ce qui inclut les entreprises communes), et, une fois encore, se partagent les compétences de manière informelle. Si vous êtes sur le point de procéder à une acquisition de taille sur le sol américain, soyez sûr de vérifier si vous devez ou non préparer une notification en application du Hart-Scott-Rodino Act.

Mis à part ces deux agences, les Avocats généraux de chaque État des États-Unis sont en charge d’assurer l’application du droit de la concurrence de ces États. Bon nombre de ces règles sont semblables au droit fédéral de la concurrence, mais certaines d’entre elles prévoient tout de même des différences importantes, à l’image du Cartwright Act en Californie.

Il est également important de noter que le poste d’Avocat général est souvent un tremplin pour celui de Gouverneur. Il n’est pas rare de constater que ces avocats généraux ouvrent une enquête au niveau de leur Etat après que des enquêtes fédérales aient été annoncées. Si vous faites l’objet d’une enquête fédérale, soyez donc prêt à faire face à une enquête au niveau de l’Etat.

  1. Les cours sont chargées de rendre les décisions définitives

Les agences fédérales jouent un rôle très important en matière de droit de la concurrence. Toutefois, comparativement à ce qui se fait en Europe et dans d’autres juridictions internationales, les cours américaines ont un pouvoir bien plus important. Alors que dans le reste du monde les autorités et autres commissions tiennent le rôle premier, le rôle revient aux cours dans le système américain.

Lorsque les agences fédérales américaines souhaitent introduire une procédure, elles sont dans l’obligation soit de déposer une plainte dans une cour compétente, soit d’avoir leur plainte déférée par une cour. Cette dernière hypothèse ne diffère pas forcément de ce qui se fait dans le reste du monde, mais il est toujours étonnant de constater à quel point les cours américaines ne s’en remettent finalement que peu aux deux agences.

Bien entendu, il existe tout de même de nombreux cas de déférence et si une cour d’appel est chargée de juger le bien fondé d’une décision administrative de la FTC, les juges auront à déférer certains faits retenus par la FTC. Les cours demeurent toutefois indépendantes. Quant aux juges fédéraux – nommés à vie –, ils n’ont aucune retenue à dire pour droit qu’une agence fédérale s’est trompée.

Cela ne veut pas dire que le travail des agences importe peu. Mais lorsque vous recevez une tape sur l’épaule de la part d’une de ces agences, il ne faut pas pour autant les supplier de vous accorder leur miséricorde. Si vous êtes bien-fondé à vous défendre, une bonne stratégie est d’aller tenter sa chance auprès d’une cour.

  1. Parfois, avoir une position dominante n’est pas un problème

Si vous êtes habitué à pratiquer le droit européen de la concurrence, vous avez pour réflexe de vous dire que toute position dominante entraine une « responsabilité particulière ». Le mot de « responsabilité » est important tant il reflète une vision différente du droit de la concurrence en Europe et aux États-Unis.

Aux États-Unis, une société en position dominante ne peut pas toujours agir de la même manière qu’une société qui n’est pas dans une telle position. Autrement dit, certaines pratiques ne sont condamnées sur le fondement de la Section 2 du Sherman Act que si l’entreprise est en position dominante. Toutefois, aux États-Unis, on ne croise pas ce vocabulaire de responsabilité ou de devoir qui impliquerait à une entreprise ayant réussi à tirer son épingle du jeu.

Il est certes constant que les juges américains considèrent que certaines pratiques ont un effet néfaste sur la concurrence que lorsque l’entreprise est en position dominante. Il ne s’agit pas de dire que les entreprises dans cette position n’ont aucune responsabilité. Toutefois, sans que ne soit prouvé un effet néfaste sur la concurrence, le droit de la concurrence ne trouve généralement pas à s’appliquer.

À l’opposé, existe en Europe et ailleurs dans le monde cette idée de « responsabilité particulière » qui implique qu’une entreprise en position dominante n’engage pas, par principe, certaines pratiques qui sont tout à fait permises aux États-Unis.

Les raisons exactes de cette distinction relève probablement du fait que (i) l’économie sert de fondement au droit de la concurrence depuis plus longtemps aux États-Unis qu’en Europe, et (ii) que les États-Unis sont plus libertarien et plus enclin à un marché libre que l’Europe.

  1. Il est possible que vous fassiez l’objet d’une enquête américaine

Le Foreign Trade Antitrust Improvements Act (« FTAIA ») limite l’application du droit américain de la concurrence aux seules pratiques qui ont un effet sur le commerce américain.

Il y a toutefois une lourde exception relative aux « dommages portés sur le commerce interne ». En effet, si une pratique a « un effet direct, substantiel, et raisonnablement prévisible » sur le sol américain et qu’elle « donne lieu à réclamation », le droit américain de la concurrence trouvera alors à s’appliquer à une pratique commise sur un sol étranger.

L’interprétation et la portée exacte de cette exception est actuellement entre les mains de cours d’appel fédérales. Une chose est certaine, bien plus de pratiques que vous ne l’auriez imaginé sont soumises au droit américain de la concurrence. Il ne faut donc pas présumer que les tribunaux américains ne sont pas compétents, mais s’en assurer.

  1. Une grande partie du droit américain de la concurrence fait l’objet d’actions privées

L’introduction d’actions privées en droit de la concurrence est une constante sur le sol américain. Cela surprend toujours les avocats habitués à ce qu’une agence soit la pierre centrale du système juridique.

Aux États-Unis, les enquêtes d’une agence fédérale sont généralement suivies par l’introduction de douzaines d’actions privées introduites sur l’ensemble du territoire. Ces enquêtes engendrent donc pour les entreprises visées de nombreuses batailles sur plusieurs fronts.

Dans le même temps, les entreprises introduisent souvent des actions les unes contre les autres sur le fondement du droit de la concurrence. Il n’est pas rare qu’elles se fassent concurrence entre elles via l’introduction de telles actions. Notons enfin que la procédure peut elle-même également surprendre. Celle de « discovery » donne par exemple accès à un vaste nombre de documents, ce à quoi les européens ne sont pas habitués.

En somme, s’il est coutumier de craindre l’inconnu, le droit de la concurrence américain peut s’avérer être un bon remède si vous souhaitez intégrer le marché américain et que d’autres sociétés vous en empêchent. Il serait dommage de s’en priver.

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ENGLISH VERSION

Just because your company isn’t based in the United States doesn’t mean it can ignore US antitrust law. In this interconnected world, there is a good chance that if you produce something, the United States is a market that matters to your company.

For that reason, I offer five points below that attorneys and leaders for non-U.S. companies should understand about US antitrust law. But maybe you aren’t from a foreign company? Does that mean you can click away? No. Keep reading. Most of the insights below matter to anyone within the web of US antitrust law.

1. Two federal and many state agencies enforce antitrust laws in the United States.

The United States government has two separate antitrust agencies—the Federal Trade Commission (FTC) and the Antitrust Division of the Department of Justice (DOJ). The FTC is a so-called independent federal agency, while the Antitrust Division of the DOJ is part of the Executive Branch, under the President.

Both of them enforce federal antitrust laws. Their jurisdiction technically overlaps, but they tend to have informal agreements between each other for one or the other to handle certain industries or subjects. If you are part of a major industry, most antitrust lawyers can tell you rather quickly whether the DOJ or FTC is likely to oversee competition issues in your field.

The Antitrust Division of the DOJ is the only one of the two to enforce the criminal antitrust laws, so if you are entangled in a cartel investigation, you will likely hear from them. By the way, if you want to learn about antitrust cartels, read my friend Bob Connolly’s excellent blog Cartel Capers.

Both the DOJ and FTC review mergers and acquisitions (including joint ventures), once again informally divided by subject. If you have a significant transaction in the United States, make sure you determine whether you must prepare a Hart-Scott-Rodino Act filing with the US antitrust agencies.

Besides the federal antitrust laws, the Attorney Generals of the many states can enforce their own state antitrust laws. Many of these laws pattern or mimic the federal antitrust laws, but some of them have important differences, like the Cartwright Act in California.

You should also know that the position of State Attorney General is often a stepping-stone to running for Governor. And you will often see politically ambitious attorney generals leading (or more accurately following) antitrust pursuits once a federal antitrust agency has announced an antitrust investigation. So if you are ensnarled in a federal investigation, be ready for some state antitrust activity as well.

2. The Courts ultimately decide the antitrust cases.

The federal antitrust agencies play a significant role in US antitrust enforcement. But compared to the EU and other international jurisdictions, the courts in the US are much more important. In most jurisdictions, the antitrust agency is the center of the antitrust and competition universe. But in the United States, the federal court decides everything.

If a US antitrust agency wants to pursue a claim, it must ultimately either file a claim in court or have its claim upheld in court. The latter may not necessarily differ from other jurisdictions, but if you come from Europe or elsewhere, it might surprise you how relatively little the courts defer to the antitrust agencies.

Sure, there is some deference and if an appellate court is reviewing an FTC administrative ruling, they will formally defer on the facts to a certain extent. But the courts are independent and they make the decisions. And the federal judges—with lifetime appointments—have no trouble concluding that a federal antitrust agency is wrong.

That is not to say that the agencies don’t matter—an investigation is expensive and time-consuming. But when you receive that tap on the shoulder from your friendly investigator, you need not necessarily concede everything and beg for mercy. If you are right on the facts and the law, you might consider taking your chance in court.

3. Sometimes it’s okay to have a monopoly.

If you are accustomed to antitrust and competition law in Europe, for example, you probably consider that having “dominance,”—the EC term for monopoly—entails special duties. And that word—“duty”—is important. It represents a different perspective on antitrust than prevails in the United States.

I’ll try to explain. In the United States, a monopolist, or dominant company, cannot engage in certain conduct that a non-monopolist might take without consequence. That is, there are certain types of claims under Section 2 of the Sherman Act that aren’t available unless the defendant has monopoly power. But in the United States, we don’t think of this as a positive “duty” of a monopolist, as if it must give something up because of its great riches.

Instead, we recognize that, under accepted economic theory, absent monopoly power, certain conduct doesn’t cause anticompetitive harm. It is not that monopolists have extra responsibilities, it is that an entity—no matter what its market position—does not harm competition by certain conduct unless it has monopoly power. And without harm to competition, antitrust enforcement has no place.

In Europe and elsewhere, there is a moral component to this “duty” of a dominant company not to take certain action that doesn’t exist in the United States.

I don’t know the exact reason for this distinction, but I suspect it stems from two factors: (1) economics has served as a foundation for antitrust and competition law for a longer period in the US than in Europe; and (2) the United States is more libertarian and free market than Europe.

4. It might surprise you that you are subject to the US antitrust laws.

The Foreign Trade Antitrust Improvements Act (FTAIA) limits the extraterritorial scope of US antitrust law by excluding conduct involving non-import trade or commerce with foreign nations. Well, that doesn’t sound so bad, right?

It doesn’t until you keep reading and see that there is a “domestic injury” exception that could swallow the limit. If the foreign anticompetitive conduct has a “direct, substantial, and reasonably foreseeable effect” on US commerce and this effect gives rise to plaintiff’s claim, the FTAIA limits don’t apply.

The exact interpretation and scope of this exception is currently in dispute among the federal appellate courts. But the bottom line is that more conduct than you probably realized is subject to US antitrust jurisdiction. So be careful and get advice. Don’t just assume that the US courts and agencies don’t have jurisdiction.

5. Much of US antitrust law is enforced through private antitrust lawsuits.

Most jurisdictions do not have near the private antitrust litigation that exists in the United States. This is a surprise for many foreign companies that are accustomed to agency-centric antitrust models.

In the US, an agency investigation often leads to dozens of private antitrust lawsuits against the targets filed throughout the country. One antitrust agency investigation can spawn a multi-front war for the company in several jurisdictions.

At the same time, companies commonly sue each other over antitrust violations. Indeed, companies often wage business competition through antitrust (and intellectual property) lawsuits.

It might also surprise you how the litigation works. Discovery is wide-ranging and extensive. You will have to produce a lot of documents; and you will see a lot of the other side’s documents.

While it is reflexive to fear the unknown and unfamiliar, if you are trying to gain a foothold in a US market, but another company or group of companies is keeping you from competing, you should consider whether you have an antitrust claim. You just might.

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