Pour (éventuellement) citer cette étude :
Thibault Schrepel, La procédure de règlement par transaction devant la Commission européenne, Revue Concurrentialiste, Avril 2014
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Le 2 avril 2014, la Commission européenne a sanctionné trois entreprises (une autre a bénéficié d’une clémence de premier rang) pour avoir coordonné les prix de la grenaille abrasive métallique. Il s’agit là de la treizième décision de règlement par transaction adoptée depuis l’instauration de cette procédure en juin 2008. Le Concurrentialiste a jugé qu’il était temps d’analyser l’ensemble de ces décisions afin d’en tirer de premiers enseignements.
1. La procédure de règlement par transaction
La Commission européenne a instauré une procédure de transaction dans le domaine des ententes, qui lui permettra de régler les affaires d’entente par une procédure simplifiée. Cette procédure prévoit que les parties qui ont pris connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission pourront décider de reconnaître leur participation à l’entente et leur responsabilité en la matière. En échange de cette reconnaissance, la Commission pourra réduire de 10 % le montant de l’amende qui leur est infligée. Les transactions qui visent à simplifier les procédures administratives pourraient réduire l’ampleur des procédures judiciaires devant les tribunaux européens dans les affaires d’entente, dégageant ainsi des ressources que la Commission pourrait consacrer à d’autres affaires. La Commission a analysé les 51 contributions reçues dans le cadre de la consultation publique lancée le 26 octobre 2007 (voir IP/07/1608) et a revu l’ensemble des textes législatifs en concertation avec les autorités des États membres en charge de la concurrence. Le paquet législatif consiste en un règlement de la Commission et une communication de la Commission (« communication sur la procédure de transaction ») expliquant le nouveau système en détail. Le paquet législatif sur la procédure de transaction entrera en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’UE. (voir IP/08/1056)
2. Analyses statistiques de cette procédure
> Nombre de règlements par transaction chaque année
> Nombre de clémences obtenues en parallèle des règlements par transaction
Une clémence de premier rang a été accordée dans 12 des 13 affaires, soit 92% des cas. Aucune clémence n’a été accordée dans l’affaire bourses de l’électricité du 5 mars 2014. Il s’agit, en terme d’amende, de la plus petite affaire de toutes.
> Total des amendes infligées par la Commission européenne dans le cadre de règlements par transaction
> Moralité ?
Le nombre de règlements par transaction tant à s’accroître. Il semblerait par ailleurs que la Commission ne s’intéresse à cette procédure que dans le cas d’affaires importantes (voir le montant moyen des sanctions infligées). Alors, si un concurrent dénonce votre participation dans une entente, obtenez une clémence de second rang et courez vers la procédure de transaction !
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3. Résumé des affaires ayant fait l’objet d’un règlement par transaction
Vous trouverez ici l’ensemble des communiqués de presse des affaires ayant fait l’objet d’un règlement par transaction. Les paragraphes introductifs sont ici reproduits. Bonne lecture.
- Les DRAM, 19 mai 2010 (communiqué)
Montant de l’amende : 331 273 800 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a adopté sa première décision de transaction dans une affaire d’entente impliquant dix producteurs de puces à mémoire ou DRAM utilisées dans les ordinateurs et les serveurs. Les amendes, qui se chiffrent à 331 273 800 € au total, comprennent une réduction de 10 % pour avoir reconnu les faits. Les destinataires de la décision sont : Micron, Samsung, Hynix, Infineon, NEC, Hitachi, Mitsubishi, Toshiba, Elpida et Nanya. Toutefois, aucune amende n’a été infligée à Micron, car elle a révélé l’existence de l’entente à la Commission. Le règlement transactionnel des ententes permet à la Commission d’accélérer les enquêtes, de libérer des ressources qu’elle peut affecter à d’autres affaires et, de manière générale, d’assurer un meilleur respect des règles de concurrence.
- Les phosphates utilisés dans l’alimentation animale, 20 juillet 2010 (communiqué)
Montant de l’amende : 175 647 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a conclu sa première transaction dans une affaire d’entente en appliquant un scénario hybride, dans lequel elle a associé les procédures de transaction et les procédures ordinaires. Elle a condamné les producteurs de phosphates destinés à l’alimentation animale à des amendes d’un montant total de 175 647 000 € pour avoir mis en œuvre une entente illégale qui a duré plus de 30 ans et couvert une grande partie du territoire de l’Espace économique européen (EEE). Toutes les entreprises, sauf une, ont accepté de régler le litige avec la Commission et bénéficié de ce fait d’une réduction de 10 % de leur amende. Les phosphates destinés à l’alimentation animale sont des composés chimiques qui entrent dans la composition des aliments pour animaux, tels que bovins, porcins, volailles, poissons et animaux de compagnie.
- Les poudres à lessiver, 13 avril 2011 (communiqué)
Montant de l’amende : 315 200 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a infligé une amende totale de 315.2 millions € à Procter & Gamble et à Unilever au motif que ces entreprises ont conduit une entente avec la société Henkel sur le marché des poudres à lessiver dans huit pays de l’Union européenne. L’amende infligée aux deux entreprises inclut une réduction de 10 %, ces dernières ayant reconnu les faits et contribué à une clôture rapide de l’enquête. Henkel a bénéficié de l’immunité d’amendes pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission. Les trois entreprises sont les principaux producteurs de poudre à lessiver en Europe. L’entente a duré environ trois ans et visait à stabiliser les positions sur le marché et à coordonner les prix, en violation des règles de l’UE et de l’EEE en matière d’ententes et d’abus de position dominante (l’article 101 du traité UE et l’article 53 de l’accord EEE). Il s’agit de la troisième transaction conclue dans une affaire d’entente en l’espace d’un an.
- Le verre pour les tubes cathodiques, 19 octobre 2011 (communiqué)
Montant de l’amende : 128 736 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne est parvenue à une transaction dans une affaire d’entente avec quatre producteurs de verre pour tubes cathodiques utilisés dans la fabrication des écrans de télévision et d’ordinateurs. Les entreprises japonaises Asahi Glass (AGC) et Nippon Electric Glass (NEG) et l’entreprise allemande Schott AG se sont vu infliger une amende totale de 128 736 000 euros pour leur participation à une entente qui, en définitive, a porté préjudice aux consommateurs en Europe. En agissant de la sorte, elles ont enfreint l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 53 de l’accord EEE. L’amende infligée aux trois entreprises tient compte d’une réduction de 10 % qui leur a été accordée pour avoir reconnu leur participation à l’entente, ce qui a aidé la Commission à clore l’affaire plus rapidement. L’entreprise coréenne Samsung Corning Precision Materials (SCP) a bénéficié d’une immunité totale d’amende pour avoir été la première à fournir des informations sur l’entente à la Commission.
- Les compresseurs frigorifiques, 7 décembre 2011 (communiqué)
Montant de l’amende : 161 198 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a conclu une transaction dans une affaire d’entente avec des producteurs de compresseurs frigorifiques ménagers et commerciaux utilisés dans les réfrigérateurs, les congélateurs, les distributeurs automatiques et les conservateurs à crème glacée. Une amende totale de 161 198 000 € a été infligée à ACC, Danfoss, Embraco et Panasonic pour avoir participé avec Tecumseh à une entente qui a couvert la totalité du territoire de l’Espace économique européen (EEE)1 d’avril 2004 à octobre 2007 (jusqu’au 15 novembre 2006 pour Panasonic). Le montant de chaque amende a été réduit de 10 %, les entreprises ayant reconnu leur participation à l’entente et leur responsabilité liée à cette participation. Aucune amende n’a été infligée à Tecumseh, qui a bénéficié d’une immunité d’amende au titre de la communication sur la clémence de 2006 pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission.
- Les produits de gestion de l’eau, 27 juin 2012 (communiqué)
Montant de l’amende : 13 661 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a décidé d’infliger des amendes à plusieurs fabricants de produits de gestion de l’eau utilisés dans les installations sanitaires, de chauffage et de réfrigération, pour violation des règles de concurrence de l’UE interdisant les ententes et les pratiques commerciales restrictives. Elle a cependant réduit le montant de chaque amende de 10 %, les entreprises concernées ayant reconnu leur participation à l’entente et leur responsabilité à cet égard. Une amende totale de 13 661 000 € a été infligée à Flamco et à Reflex pour avoir participé à une entente avec Pneumatex sur le marché allemand de juin 2006 à mai 2008. En outre, à l’automne 2006, Reflex et Pneumatex ont étendu leur comportement anticoncurrentiel à 13 autres États membres de l’UE1 pendant une période de trois mois. Aucune amende n’a été infligée à Pneumatex, qui a bénéficié d’une immunité d’amende au titre de la communication sur la clémence de 2006 pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission.
- Les faisceaux de fils électriques, 10 juillet 2013 (communiqué)
Montant de l’amende : 141 791 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a infligé un total de 141 791 000 € d’amendes aux fournisseurs de pièces détachées automobiles Sumitomo, Yazaki, Furukawa, S-Y Systems Technologies (SYS) et Leoni pour avoir constitué cinq ententes portant sur la fourniture de faisceaux de fils électriques à Toyota, Honda, Nissan et Renault. Les faisceaux de fils électriques transmettent l’électricité dans les voitures, par exemple pour démarrer, ouvrir les vitres ou allumer la climatisation. On les décrit souvent comme le « système nerveux central » de la voiture. Les ententes couvraient l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE). Aucune amende n’a été infligée à Sumitomo pour les cinq ententes, dans la mesure où elle a bénéficié de l’immunité au titre de la communication sur la clémence de 2006 de la Commission pour avoir révélé leur existence à cette dernière. Toutes les autres entreprises ont vu leurs amendes réduites pour avoir coopéré avec l’enquête dans le cadre du programme de clémence de la Commission. Les entreprises ayant accepté de régler le litige par voie de transaction avec la Commission, leurs amendes ont été réduites de 10 % supplémentaires.
- Les produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros et en yens, 4 décembre 2013 (communiqué)
Montant de l’amende : 1 712 468 000 euros
Type d’infraction : ententes (deux infractions)
La Commission européenne a infligé des amendes d’un montant total de 1 712 468 000 € à 8 institutions financières internationales ayant pris part à des ententes illicites sur les marchés des produits dérivés financiers couvrant l’Espace économique européen (EEE). Quatre de ces institutions ont participé à une entente concernant des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en euros. Six d’entre elles ont participé à une ou plusieurs ententes bilatérales portant sur des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en yens japonais. Une telle collusion entre concurrents est interdite par l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et par l’article 53 de l’accord EEE. Les deux décisions ont été adoptées au titre de la procédure de règlement des affaires d’entente par transaction appliquée par la Commission; les entreprises concernées ont bénéficié d’une réduction d’amende de 10 % pour avoir accepté de régler le litige par voie de transaction. Voir également le MEMO/13/1090.
- Les mousses de polyuréthane, 29 janvier 2014 (communiqué)
Montant de l’amende : 114 077 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a découvert que les quatre principaux producteurs de mousse de polyuréthane souple que sont Vita, Carpenter, Recticel et Eurofoam ont participé à une entente. Elle leur a infligé une amende totale de 114 077 000 €. La mousse de polyuréthane souple est principalement utilisée dans le mobilier d’habitation tel que les matelas et les canapés. Les applications dans le secteur de l’automobile, en particulier pour les sièges de voiture, représentent quant à elles environ un quart du marché total de la mousse de polyuréthane souple.Pendant près de cinq ans, d’octobre 2005 à juillet 2010, les entreprises se sont entendues pour coordonner leurs prix de vente pour divers types de mousses dans dix États membres de l’UE (Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, France, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie et Royaume-Uni). Aucune amende n’a été infligée à Vita, qui a bénéficié d’une immunité au titre de la communication sur la clémence de 2006 pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission. Eurofoam (une entreprise commune entre Recticel et Greiner Holding AG), Recticel et Greiner ont vu leurs amendes réduites pour avoir coopéré à l’enquête dans le cadre du programme de clémence de la Commission. Toutes les entreprises ayant accepté de régler le litige par voie de transaction avec la Commission, leurs amendes ont été réduites de 10 % supplémentaires.
- Les bourses d’électricité, 5 mars 2014 (communiqué)
Montant de l’amende : 5 979 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a infligé des amendes d’un montant total de 5 979 000 € aux deux principales bourses d’électricité européennes EPEX Spot (“EPEX”) et Nord Pool Spot (NPS), qui ont convenu de ne pas se faire concurrence pour leurs services de négociation au comptant de l’électricité dans l’Espace économique européen (EEE). Ce type de comportement constitue une infraction aux règles de l’UE interdisant les ententes et les pratiques restrictives. Les bourses d’électricité sont des marchés organisés de négoce de l’électricité. Par « opérations au comptant » (ou “spot”), on entend les opérations à court terme, ayant lieu le jour même ou le lendemain. NPS et EPEX ayant accepté de régler le litige par voie de transaction avec la Commission, elles ont bénéficié d’une réduction de 10 % de leur amende.
- Les roulements automobiles, 19 mars 2014 (communiqué)
Montant de l’amende : 953 306 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a découvert que deux entreprises européennes (SKF et Schaeffler) et quatre entreprises japonaises (JTEKT, NSK, NFC et NTN, avec sa filiale française NTN-SNR) avaient participé à une entente sur le marché des roulements automobiles. La Commission a infligé des amendes d’un montant total de 953 306 000 €. Ces roulements automobiles sont utilisés par les fabricants de voitures, de camions et de pièces détachées destinées à l’industrie automobile pour réduire les frictions entre les pièces mobiles d’un véhicule.Les voitures et les camions contiennent de nombreux roulements, tels que des roulements de roue, de boîte de vitesses, de transmission, d’alternateur ou de compresseur de climatisation. Les entreprises se sont entendues pour coordonner secrètement leur stratégie tarifaire sur le marché automobile pendant plus de sept ans, d’avril 2004 à juillet 2011, dans l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE). Aucune amende n’a été infligée à l’entreprise japonaise JTEKT, qui a bénéficié d’une immunité au titre de la communication sur la clémence de 2006 pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission. NSK, NFC, SKF et Schaeffler ont vu leurs amendes réduites pour avoir coopéré à l’enquête dans le cadre du programme de clémence de la Commission. Toutes les entreprises ayant accepté de régler le litige par voie de transaction avec la Commission, leurs amendes ont été réduites de 10 % supplémentaires.
- Les grenailles abrasives métalliques, 2 avril 2014 (communiqué)
Montant de l’amende : 30 707 000 euros
Type d’infraction : entente
La Commission européenne a constaté que, pendant plus de six ans, les entreprises Ervin, Winoa, Metalltechnik Schmidt et Eisenwerk Würth ont participé à une entente visant à coordonner les prix de la grenaille abrasive métallique en Europe. La Commission a infligé des amendes d’un montant total de 30 707 000 €. La grenaille abrasive métallique est composée de particules d’acier utilisées pour le nettoyage des surfaces métalliques dans les industries sidérurgique, automobile, métallurgique et pétrochimique, ou pour des traitements particuliers appliqués à ces surfaces. Elle peut également être utilisée pour la découpe de pierres dures, telles que le granit et le marbre. Aucune amende n’a été infligée à Ervin, qui a bénéficié de l’immunité au titre de la communication sur la clémence de 2006 pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission. Les quatre entreprises ayant accepté de régler le litige par voie de transaction avec la Commission, leurs amendes ont été réduites de 10 %.
Plutôt que de réduire le montant de l’amende en contrepartie de l’économie ainsi permise sur le coût de traitement du dossier, je suggère que, d’une manière générale, on fasse rembourser aux condamnés le coût des procédures administratives et judiciaires (quelles que soient la qualification des faits et la juridiction). Il est aberrant que les dépenses publiques occasionnées par la malhonnêteté de certains soient financées par les contribuables de bonne foi.
Pour compléter cette analyse il est aussi intéresant d’aborder les transactions “hybrides” selon le terme utilisé par la commission elle-même. Il s’agit des affaires dans lesquelles certaines des parties ont accepté la transaction tandis que d’autres l’ont refusée. A ce jour ces procédures restent originales et ne sont pas sans laisser ouvertes plusieurs questions, et ce d’autant plus lorsque les parties ont renoncé à la transaction au dernier moment.
On peut ainsi relever qu’il y a eu, depuis 2008, 4 procédures hybrides dont 1 seulement a donné lieu à une sanction par la commission, les 3 autres n’étant pas encore closes. Il s’agit de :
(1) l’affaire des phosphates (2010) : 1 partie a refusé les sanctions et a été sanctionnée dans la décision statuant sur la transaction (un recours contre cette décision a été deposé devant le tribunal). Il s’agit de la seule décision “hybride” à proprement parler puisque la même décision réglait la transaction et la sanction pour la partie ayant refusé la transaction.
(2) L’affaire des produits dérivés des taux d’intérêt Euro (Euribor) (2013), une transaction a été acceptée par certaines parties mais la procédure suit encore son cours pour 3 parties
(3) L’affaire des produits dérivés des taux d’intérêt Yen (2013), là encore une transaction a été acceptée par la plupart des parties mais la procédure suit son cours pour 1 partie.
(4) L’affaire de la grenaille abrasive (2014), où une partie a refusé la transaction, la commission poursuivant son enquête.
Le suivi de ces procédures particulières viendra peut-être éclairer ou modifier la future pratique et l’usage de la procédure de transaction.