Il se pourrait bien que le droit de la concurrence se trouve bientôt lié au plus grand scandale financier de tous les temps. L’affaire du Libor n’a pas fini de faire parler d’elle. Voici les premiers décryptages concurrentiels.
1. Le Libor : qu’est-ce que c’est ?
Le Libor est le London Interbank Offered Rate. Déterminé chaque jour à 11h (fuseau horaire de Londres) par 16 banques et communiqué par la British Bankers’ Association, il permet de déterminer initialement du taux auquel les banques s’empruntent entre elles. En réalité, il est aussi le taux qui a servi le calcul de plus de 350 000 milliards de dollars de transactions financières en 4 années. Sont notamment visés les taux d’épargne, taux hypothécaires et taux de prêt, que ce soit aux entreprises ou aux particuliers.
2. Le supposé scandale : en quoi consiste-t-il ?
Fixé chaque jour par 16 des plus grandes banques sélectionnées en fonction du volume de leurs activités sur les marchés (1), le Libor est le principal indice des marchés financiers. Ces banques indiquent le taux auquel elles pensent pouvoir obtenir un prêt considérable sur le marché financier interbancaire. Une moyenne est ensuite calculée (à l’exclusion des 25 % les plus hauts et des 25 % les plus bas) et le taux du Libor est ainsi déterminé.
Le problème est le suivant : 10 de ces banques sont soupçonnées de s’être entendues durant 4 ans pour baisser artificiellement le taux du Libor. Si tel était le cas, il s’agirait du plus grand scandale financier jamais révélé. L’intérêt d’une telle baisse serait double : (i) il viserait d’une part à permettre aux banques d’apparaitre solides et non vulnérables, (ii) il permettrait d’autre part d’assurer d’énormes plus-values à quelques traders.
3. Le droit de la concurrence : en quoi est-il lié ?
Sont concernées par cette affaire les règles concurrentielles interdisant les ententes (l’article 101 du TFUE) ainsi que les pratiques commerciales restrictives de concurrence.
Pour rappel, l’article 101 énonce que “sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur“. Sont notamment concernés les accords visant à “fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction“. Si un accord entre ces banques venait à être démontré, l’article 101§1 du TFUE trouverait à s’appliquer. Alors, la possibilité de démontrer des gains d’efficience économique, encadrée par l’article 101§3, serait bien évidemment illusoire.
Plus de dix autorités de régulation sont impliquées à travers le monde entier. Des enquêtes sont menées au sein de chacune d’elles et des questions surgissent d’ores et déjà quant à la coordination de ces dernières. Si un réseau est constitué pour les autorités de concurrence européennes, aucune connexion n’est faite avec le reste du monde. Le FBI réalise les enquêtes outre-Atlantique, comme le fait la Commission Européenne de son côté. De plus, le Libor bien évidemment concerné l’est aux côtés du Tibor (Tokyo Interbank Offered Rate) ainsi que l’Euribor. Voilà de quoi compliquer l’affaire.
Il est à noter que la véracité de cette entente est corroborée par une demande de clémence de la part de la banque Suisse UBS. Jamais une seule affaire dans laquelle une entreprise a opéré une demande de clémence n’a abouti à l’abandon total des poursuites. C’est à la page 83 de leur rapport annuel (lien) que la banque annonce avoir obtenu par certaines juridictions une clémence conditionnelle. Seule une collaboration loyale et plénière avec les autorités concernées lui permettra de l’acquérir définitivement.
Des questions se posent également quant aux sanctions concurrentielles encourues. D’une part, il semble difficilement envisageable que soit prononcée la nullité de tant de transactions, l’effet rétroactif d’une telle mesure étant impossible à réellement mettre en oeuvre. Toutefois, s’impose l’évidence de sanctions pécuniaire. Pour l’heure, la Commission Européenne se refuse à prononcer des dommages-intérêts punitifs, ce que le Royaume-Uni consacre (voir l’article sur l’effet dissuasif des sanctions en droit communautaire de la concurrence). Sans même considérer un tel mécanisme, une réparation du dommage en son entier semble difficile, les sommes en jeu étant trop colossales. L’ensemble des transactions concernées (350 000 milliards de dollars soit environ 270 000 milliards d’euros), représente plus de 1500 ans de production française. La réparation intégrale du préjudice semble donc exclue. De plus, les banques d’investissement et d’épargne sont souvent les mêmes, ce qui remettrait en cause la solidité de l’épargne et pourrait provoquer un mouvement de panique général. Lorsque l’on sait que les banques ne détiennent qu’un faible pourcentage de l’argent mis en circulation, il semble heureux d’éviter un tel cataclysme.
Réapparait à cette occasion le débat relatif à l’introduction d’une action de groupe tant les consommateurs pourraient être lésés (voir l’article sur l’introduction de la class action en France). S’il est avéré que les taux relatifs à l’épargne, aux prêts et hypothèques étaient en réalité abusifs, pourquoi ne pas envisager une action de ces derniers envers les banques fixant le taux du Libor.
Concluons ce premier article sur le Libor par ces quelques mots de Joaquin Almunia, commissaire européen chargé de la Concurrence : « Si elle était prouvée, une manipulation de ces taux d’intérêt impliquerait un coût très important pour l’économie européenne ». (lien)
Thibault Schrepel.
(1) Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ Ltd, Barclays Bank plc, Citibank NA, Credit Suisse, Deutsche Bank AG, HSBC, JP Morgan Chase, Lloyds Banking Group, Mizuho, Rabobank, Royal Bank of Canada , Société Générale, The Royal Bank of Scotland Group, UBS AG, West LB AG.