(Cet article constitue la deuxième partie d’un focus sur les négociations durant les opérations de concentration. Cliquez ici pour accéder à la première).
Meilleures sont les relations avec les autorités de concurrence, meilleurs seront les résultats. L’amélioration de ces relations nécessite la mise en œuvre de plusieurs éléments. Il convient toutefois de ne pas céder trop largement aux attentes des autorités afin de ne pas perdre de vue l’objectif principal de la négociation. Une fois les grandes orientations stratégiques définies, il convient de ne pas négliger les détails qui révèlent tout autant d’importance. Voici quelques grandes stratégies/techniques à utiliser.
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I. Privilégier un « up-front buyer » : détermination de l’acquéreur
1. Le risque concurrentiel lié à une cession d’actifs. Lorsque des engagements structurels sont proposés par une entreprise, elle sera tentée de choisir un repreneur qui ne soit pas trop puissant sur le marché visé, de sorte à conserver son influence déterminante. Les autorités de concurrence, de leur côté, veillent à ce que l’acheteur puisse continuer à exercer une pression concurrentielle suffisante de sorte que le marché soit compétitif.
2. Fonctionnement. Il convient de mentionner ici la possibilité pour les autorités de concurrence d’utiliser le mécanisme de l’« up-front buyer » qui oblige les parties à faire agréer le repreneur avant que les autorités de concurrence ne prennent leur décision (1). Ce mécanisme, inspiré du régime américain, existe tant en droit communautaire qu’en droit français. Il est utilisé, entre autres, lorsqu’il est nécessaire que la cession se fasse au profit d’un concurrent suffisamment fort pour empêcher que les parties concernées ne se retrouvent en position dominante. En fait, les autorités craignent que l’activité cédée n’attire pas de repreneur. Dès lors, ce mécanisme est mis en place lorsque l’identité du repreneur est essentielle à l’efficacité de l’engagement ou lorsqu’il existe des doutes quant à la réalité d’un acquéreur potentiel répondant aux exigences d’indépendance et de viabilité requises.
3. Une condition suspensive. Il s’agit là d’une condition suspensive posée quant à la réalisation de l’opération. Le repreneur des actifs cédés devra avoir donné son accord avant que l’opération ne puisse être finalisée par l’autorité en charge du dossier. En somme, il est exigé que l’acquéreur possède les ressources financières nécessaires pour maintenir et développer les actifs cédés. Dès lors, transmettre à l’autorité de concurrence en charge du dossier l’identité de l’acquéreur peut éviter une décision de refus, ou, à tout le moins, que les délais ne soient trop prolongés. Libre à l’entreprise de présenter l’acquéreur de son choix.
II. Rassurer l’autorité de concurrence avec le mécanisme du « crown jewel »
4. Il existe un mécanisme destiné à renforcer l’efficacité des engagements au stade de leur élaboration appelé « crown jewel » qui consiste pour les parties à prévoir une cession alternative d’actifs – plus globaux – en cas de non-réalisation de la cession initialement prévue dans les délais (2). La solution de rechange doit alors comporter des perspectives de rétablissement de la concurrence au moins égales, sinon meilleures que celles prévues initialement. Cette technique, prévue par les textes communautaires, a déjà été utilisée au moins deux fois par la Commission. Un mécanisme similaire existe en droit français. Ce remède alternatif n’est pas publié par l’autorité en charge du dossier ce qui permet d’éviter que les tiers soient plus désireux de contester l’autorisation. Le seul contre-exemple se trouve dans l’affaire BPCE (3) qui fait, dans le communiqué même de l’Autorité de la concurrence, apparaitre ce remède.
III. Eviter le « pick-and-choose »
5. La nécessité de céder une activité existante, viable et autonome (« stand alone business ») est particulièrement regardée par l’autorité de la concurrence française qui n’a, depuis 2009, admis aucune opération de concentration avec des engagements de cession d’une activité devant être scindée et réintégrée. En effet, il s’agit d’éviter tout phénomène dit de « pick-and-choose » consistant à céder une marque sans céder les actifs corporels et incorporels afférents. La Commission européenne semble elle moins réticente à autoriser la cession d’une activité qui n’est pas viable en elle-même. Il s’agit dès lors d’adapter sa stratégie selon l’autorité en charge du dossier.
IV. Faciliter le travail d’analyse de l’autorité de concurrence
6. Le critère de vérifiabilité. Le critère de la vérifiabilité des engagements doit être largement considéré par les parties à la concentration. En effet, une autorité de concurrence sera d’autant plus à même d’autoriser une concentration qu’elle peut, dès la communication des engagements, non seulement évaluer le risque concurrentiel en cas de mise en œuvre de ces derniers, mais aussi s’assurer du bon fonctionnement pérenne de la concurrence sur le marché.
7. A ce titre, la création d’un fonds d’animation de la concurrence, comme il fut proposé dans l’affaire Transdev/Veolia (4), a eu le mérite d’assurer l’autorité en charge du dossier que les candidats non retenus aux appels d’offres seraient indemnisés. Aussi, la cession des droits d’accès de certaines plages horaires dans les gares et aéroports est une mesure très couramment proposée et qui s’avère facile à vérifier, ne serait-ce que par l’intérêt des nouveaux entrants à ce qu’elle soit respectée.
8. Sur les engagements novateurs. Il est certain que la proposition d’engagements novateurs permette d’éviter une analyse de l’autorité de concurrence qui soit trop accès sur les précédents. Cependant, il existe une crainte des autorités de concurrence à autoriser une opération avec de nouveaux types engagements. Il est toujours préférable pour une autorité de concurrence d’être assurée de l’adoption d’engagements ayant déjà fait leur preuve (5). Ainsi, une opération de concentration contenant de nouveaux engagements ne saura autorisée que si le travail d’analyse fourni par l’entreprise est suffisamment important pour rassurer l’autorité de concurrence.
V. Proposer des modalités aux mesures de publicité adéquates
9. Les mesures de publicité sont constamment imposées par les autorités de concurrence. Bien entendu, les modalités sont différentes selon que les engagements sont structurels ou comportementaux. Il ne s’agit donc pas de proposer une simple mesure de publicité, qui sera nécessairement prononcée par l’autorité en charge du dossier de concentration, mais de proposer des modalités de publicité qui puissent facilement être mise en œuvre.
10. En matière d’engagements comportementaux, la publicité opère comme une garantie de la mise en œuvre de ces derniers. En revanche, en matière d’engagements structurels, la mesure de publicité peut participer à violer les exigences d’opacité permettant de maintenir la viabilité des actifs cédés. Dès lors, il semble recommander, dans une telle situation, de proposer une mesure de publicité qui demeure ciblée et évite ainsi une propagation trop importante de l’information. Seul le marché spécifique concerné doit être visé, de sorte que les seules entreprises directement concernées par l’opération soient informées. Négocier ce point, peu souvent discuté par les entreprises, est un détail d’importance.
VI. La possibilité de faire une déclaration publique
11. L’entreprise peut décider d’annoncer publiquement des engagements. C’est ce qu’a fait Oracle (6) afin de répondre aux doutes sérieux émis par la Commission quant à l’opération en annonçant publiquement dix engagements concernant le devenir de MySQL. La Commission européenne a ainsi estimé que le risque pour Oracle de nuire à sa réputation au sein de l’industrie logicielle ainsi que le caractère open source de MySQL et son « écosystème » créent une sorte de mécanisme d’autocontrôle qui empêchera Oracle de dévier de ses engagements publics. Si les engagements publics se distinguent de ceux juridiquement contraignants pris devant une autorité, ils n’en demeurent pas moins efficaces et appréciés de ces dernières.
12. En effet, en traitant les engagements publics comme de nouvelles informations fournies par Oracle, la Commission se réserve la possibilité de contrôler leur mise en œuvre effective par Oracle dans le futur. Tout manquement d’Oracle à tenir ses engagements pourrait permettre à la Commission d’utiliser ses pouvoirs en vertu de l’article 8(6) du Règlement Concentration afin de révoquer sa décision d’autorisation puisque fondée sur des informations inexactes. Au regard de la présente décision, prendre des engagements publics pourrait suffire pour obtenir une autorisation de l’opération. Cette stratégie, encore peu usitée, doit tendre à se développer tant elle assure le respect de libre détermination par l’entreprise de sa stratégie concurrentielle. Le droit de disposer librement de ses biens connait alors une moindre entorse.
13. En somme, l’amélioration des relations avec l’autorité de la concurrence, à travers ces différentes méthodes, est essentielle tant elle sera arbitre de la négociation. Toutefois, cet arbitrage ne doit pas faire perdre de vue la défense des intérêts de l’entreprise.
Thibault Schrepel
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- (1). Voir l’article « Solving Competition Problems in Merger Control: The Requirements for an Effective Divestiture Remedy » de William Baer et Ronald Redcay, paru à la George Washington Law Review en 2001. Est mise en avant l’intérêt pour les entreprises à proposer un up-front buyer dans le cadre des opérations de concentration. (ici à la Brooklyn Law School Library)
- (2). « Solving Competition Problems in Merger Control: The Requirements for an Effective Divestiture Remedy » op. cit.
- (3). Autorité de la concurrence, décision n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Épargne et Banque Populaire. (ici)
- (4) Autorité de la concurrence, décision n° 10-DCC-198 du 30 décembre 2010 relative à la création d’une entreprise commune par Veolia Environnement et la Caisse des Dépôts et Consignations. (ici)
- (5) Voir l’article « Bonne pratiques dans le suivi des engagements », Matthew Gaved, Palais Brongniart, 20 avril 2012, page 2, disponible à l’adresse suivante : (ici).
- (6) Commission européenne, 21 janvier 2010, Oracle / MySQL, n° M.5529. (ici)
Bonjour mes amis, je voudrais bien savoir, si vous le permettez, les cas où un passage de contrôle conjoint au contrôle exclusif serait susceptible de porter atteinte à la concurrence sachant que la société cible est le leader sur le marché.
Merci bcp.
[…] 10. En l’espèce, la Commission européenne a exprimé des inquiétudes quant à la situation suivante : la fusion aurait laissé un choix entre deux concurrents, U.P.S. et DHL, dans quinze pays de l’Union. Pour cette raison, elle demandait à ce que les deux entreprises concernées cèdent plusieurs de leurs actifs, ce qu’elles ont refusé. La Commission européenne a tenté de reproduire ce qu’elle a pu imposer dans l’opération de concentration entre Universal Music Group et EMI de l’an dernier, à savoir la cession d’un tiers des actifs d’EMI à des concurrents. Pour en savoir plus sur les négociations entre les autorités de concurrence et les parties, voir les deux articles du Concurrentialiste spécialement consacrés à cette question (ici et ici). […]
[…] 10. En l’espèce, la Commission européenne a exprimé des inquiétudes quant à la situation suivante : la fusion aurait laissé un choix entre deux concurrents, U.P.S. et DHL, dans quinze pays de l’Union. Pour cette raison, elle demandait à ce que les deux entreprises concernées cèdent plusieurs de leurs actifs, ce qu’elles ont refusé. La Commission européenne a tenté de reproduire ce qu’elle a pu imposer dans l’opération de concentration entre Universal Music Group et EMI de l’an dernier, à savoir la cession d’un tiers des actifs d’EMI à des concurrents. Pour en savoir plus sur les négociations entre les autorités de concurrence et les parties, voir les deux articles du Concurrentialiste spécialement consacrés à cette question (ici et ici). […]