(post in Fench)
Chers lecteurs,
Voici le troisième article de notre série “The Very Best of” dans laquelle j’extrais le “meilleur” de livres traitant de problématiques concurrentielles dans le but de vous les présenter avec les mots de l’auteur. Le premier article de la série traitait de “The Antitrust Religion », un livre sceptique quant à l’utilité du droit de la concurrence, tandis que le second présentait “Radical Markets », un ouvrage qui appelle à repenser nos modèles capitalistes ainsi que le principe de propriété.
Aujourd’hui, le “Petit manuel (irrévérencieux) d’économie” du Professeur Combe est à l’honneur. Professeur d’économie, vice-président de l’Autorité de la concurrence et auteur de nombreux articles (en anglais) qui font référence en matière de cartels et d’amendes concurrentielles, il n’est point besoin que je présente l’auteur davantage. Cet ouvrage, qui rassemble nombre de ses chroniques, est paru l’an dernier aux éditions Concurrences. Il aborde en des termes très accessibles des problématiques tout aussi variées que la discrimination tarifaire algorithmique, l’évaluation économique des innovations, le Malthusianisme (qui fait curieusement penser aux critiques de la récente décision Alstom / Siemens de la Commission), ou encore, le rôle des sanctions – autant de thèmes que j’ai retenus pour cet article. C’est, à ne pas en douter, une excellente lecture qui, à la fois, fait quelques piqures de rappel aux spécialistes du genre, et dans le même temps, offre un nouveau point de vue à des problématiques très actuelles. Souhaitons que les décideurs publics, les professionnels et les étudiants s’en saisissent rapidement.
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Malthusianisme (et contrôle des concentrations)
Malthusianisme : tel est le terme que l’ex-Ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, se plaît à employer pour fustiger l’attitude de ceux qui s’opposaient à sa réforme. Mais que recouvre au juste cette notion ? Le malthusianisme économique applique à la vie des affaires le même principe qu’il revendiquait jadis en matière démographique : il faut li-mi-ter. Non pas le nombre de naissances dans le pays, mais le nombre d’acteurs sur le marché. Trop d’acteurs, c’est trop de concurrence, ce qui nuirait au bon fonctionnement de l’économie. Le levier préféré du malthusianisme, c’est l’octroi de licences, le numerus clausus, la cooptation, le droit de regard des opérateurs installés sur les nouveaux entrants. Le malthusianisme a pour lui l’apparence de la vertu, en prônant la prudence et en refusant l’excès : dans un monde malthusien, mieux vaut pas assez que trop.
Les partisans du malthusianisme se défendent en expliquant que trop de concurrence nuirait à la qualité des prestations. Il faudrait choisir entre le prix bas et la qualité haute. Mais cette vision des choses peine à convaincre. Il faut en effet distinguer deux aspects de la qualité, très différents, bien que souvent confondus : la qualité nécessaire, qui touche à l’essentiel — songeons à la sécurité — et la qualité accessoire, qui relève du libre choix du client. Pour assurer la qualité nécessaire, il n’est pas nécessaire de restreindre l’entrée. La solution se trouve ailleurs : imposer aux acteurs un certain nombre de normes et de règles afin d’éviter que la concurrence par les prix ne se fasse au détriment de l’essentiel (…) La France a renoncé depuis belle lurette au malthusianisme démographique et est aujourd’hui forte de sa population et de sa jeunesse ; il est temps qu’elle en finisse désormais avec son malthusianisme économique.
Les innovations de rupture
{Mesurer les gains de productivité est essentiel à l’évaluation de la croissance économique}. Lorsque les innovations sont mineures — les entreprises se contentant d’améliorer les produits existants —, l’exercice de mesure n’est pas trop difficile : il suffit de prolonger la tendance observée dans le passé sur des produits similaires. Par exemple, lorsqu’un nouvel ordinateur équipé d’un microprocesseur plus puissant est lancé sur le marché, on suppose que les gains de productivité pour l’usager sont les mêmes que ceux du modèle précédent. –
(Les choses sont différentes) lorsqu’il s’agit de mesurer les gains de productivité d’un produit radicalement nouveau qui vient remplacer un produit existant. Par exemple, lorsqu’Apple a lancé en 2007 son iPhone, les gains de productivité apportés à l’utilisateur ont été mesurés comme s’il s’agissait d’un simple « téléphone amélioré ». Ils ont donc été fortement minorés. Dans deux études publiées en 2017, Philippe Aghion et ses co-auteurs tentent justement de corriger ce biais statistique, en recalculant les gains de productivité résultant de l’arrivée sur le marché d’innovations radicales. Pour les identifier, ils suivent l’évolution des pans de marché des produits : les nouveaux produits, plus performants, viennent prendre la place de ceux existants, à l’image de l’iPhone qui le détrôné le téléphone Nokia. Leurs résultats sont éloquents : dans le cas américain, au cours des quinze dernières armées, les gains de productivité et donc la croissance réelle auraient été sous-estimés d’un quart à un tiers !
Discrimination tarifaire
Si elle peut choquer moralement, la discrimination (par les prix) a souvent des effets positifs en économie : elle permet par exemple aux personnes à faibles revenus — songeons aux étudiants — de bénéficier de prix plus attractifs. Jusqu’à présent, elle prenait une forme assez rudimentaire : différenciation des prix selon la date de réservation, le lieu d’achat ou l’âge du client. Dans l’aérien par exemple, la règle de base est assez simple : plus vous réservez tard, plus vous payez cher.
Cette stratégie de discrimination suppose de bien connaître les caractéristiques de ses clients, notamment en termes de goûts ou de revenus. Justement, le big data et l’analyse des données, notamment celles relatives au comportement de navigation, permet d’avoir une connaissance assez fine de chaque individu et d’adapter les prix en conséquence. Ainsi, une enquête de la Cnil et de la Direction de la Concurrence (DGCCRF) en 2014 relevait que s’il n’était pas avéré que le prix d’un billet d’avion variait en fonction de l’adresse IP, le fait d’aller sur un comparateur de prix avant de choisir un site de réservation pouvait conduire ce dernier à proposer un prix d’appel plus attractif.
Des sanctions dissuasives
Les pouvoirs publics, s’ils veulent être efficaces, c’est-à-dire dissuasifs, doivent être aussi rationnels que ceux qui violent la loi ou ont l’intention de le faire : la sanction doit au moins confisquer le gain illicite — sans parler même du dommage causé à l’ensemble de la société, plus important — et aussi tenir compte du fait que toutes les infractions ne sont pas détectées.
Illustrons notre propos par un exemple numérique simple : si une entreprise, en violant la loi, réalise un gain illicite d’un million d’euros et si la probabilité qu’elle se fasse attraper est de 15 % – ce qui correspond au chiffre le plus fiable pour des activités de vol – la sanction efficace devrait s’élever à 6,6 millions d’euros.
(Autre exemple). Le délinquant routier va estimer les chances de se faire « flasher » : à cet égard, l’usage des détecteurs de radar peut lui donner un sentiment d’impunité. Il prendra aussi en compte le montant anticipé de l’amende : si elle est trop faible, elle n’exercera aucun effet dissuasif et s’apparentera à une simple taxe, autorisant à rouler plus vite. Voilà pourquoi un pays comme la Finlande fixe le montant de l’amende en fonction du niveau de revenu du contrevenant : un millionnaire s’est ainsi vu infliger la modique somme de 54 024 euros pour… un excès de vitesse de 14 miles. Plutôt dissuasif !
On nous objectera que cette approche économique se heurte au principe d’individualisation des peines : pourquoi une entreprise devrait-elle payer plus, au motif que les pouvoirs publics sont incapables d’attraper tous les contrevenants ? Certes. Mais a contrario, une sanction qui se contente de reprendre le gain illicite n’exercera pas un effet dissuasif suffisant à l’égard de l’auteur de l’infraction et… de potentiels contrevenants. Une solution possible consiste alors à compléter les sanctions monétaires, qui pèsent sur les actionnaires, par des peines de prison ou d’incapacitation, qui ciblent les personnes physiques à l’origine de l’infraction. Mais cela ouvre un autre débat épineux : au sein d’une entreprise, qui sont les véritables responsables ?